28 mai 2010

L'art de la mystification

La vie, c'est rempli de petits plaisirs tous plus merveilleux les uns que les autres: le sourire de bébé qui illumine un matin pluvieux, une miraculeuse place obtenue en garderie, une bonne nuit de sommeil pendant que le papa prend la relève, une deuxième bonne nuit de sommeil pendant que le splendide papa s'occupe du réconfort nocturne de bébé, une troisième bonne nuit de sommeil (c'est qu'on y prend goût à ce petit plaisir) pendant que le papa commence à prier la fée des nuits complètes.

Et bien sûr, il y a les petits plaisirs qu'on se crée soi-même: un bon souper entre amoureux après une dure journée de travail, un billet rédigé sur son blogue pendant une période d'accalmie post-poussée de dent, une douche bien froide pendant une canicule.
Parmi tous ces plaisirs que j'ai découvert à travers la maternité, il y a l'art de la mystification (ou comment répondre à une question posée par de purs inconnus en s'assurant que la conversation se terminera sur la réponse qu'on fournira).


La semaine dernière, j'avais quelques achats à faire au centre commercial. Armée de mes deux soeurs et de mon petit frère pour occuper Bébé fille, j'ai arpenté les allées pour dénicher quelques trucs essentiels. Bien sûr, vous vous souvenez que mon petit frère de 18 mois est noir. Pendant que mes soeurs attendaient à la caisse et que Bébé fille gigotait dans mes bras, j'essayais tant bien que mal de distraire mon frangin (lire: nous stationner devant les machines à bonbons et dire "mmmm, t'as vu les beaux bonbons, si t'es gentil, Soeur 1 va t'en donner quand elle aura fini à la caisse"). Pendant notre contemplation des boules sucrées, colorées et amies préférées des dentistes, une dame est passée près de nous et m'a gentiment demandé:
- Est-ce qu'ils sont à vous? (elle parlait bien sûr des enfants, pas des bonbons).
Mon cerveau (qui est en constante ébullition) a tout de suite repéré l'opportunité de mystification. Trop de choix s'imposaient. Devais-je lui rétorquer : "Oui, bien sûr, ils sont jumeaux identiques", ce qui l'aurait probablement troublée pendant des heures, Bébé fille et Frère 3 ayant 1 an de différence et même pas la même couleur de peau? Ou un plus terrible: "Oui, ils sont à moi tous les deux et du même père en plus!", ce qui aurait probablement valu une bonne discussion avec ses copines au bridge le lendemain matin (- Oui, oui, je vous jure, les deux sont à elle et du même père, mais pas de la même couleur. - Le pauvre père, elle a dû le tromper, ça se peut pas.) Dans une situation aussi tordue, une seule réponse s'imposait: la vérité.
J'ai donc simplement répondu:
- Elle, c'est ma fille. Celui-là, c'est mon petit frère.
J'ai vu dans son regard que son cerveau spinnait pour comprendre comment c'était possible. Mystifiée, elle fût TO-TA-LE-MENT mystifiée.

***

Faire l'épicerie avec Bébé fille est une discipline que l'on devrait classer olympique. Pas que la grenouille soit désagréable, au contraire. Elle s'émerveille devant les milliers de couleurs, fait des ta-ta aux commis, veut goûter à tous les fruits et légumes que je mets dans mon panier, bref, un charme. Ce qui me donne l'impression de participer à une course à obstacles, ce sont les autres clients qui semblent attirés par Bébé fille comme un enfant est attiré par les fils électriques. Croyez-moi, j'ai vite appris à repérer le regard qui s'agrandit en voyant Bébé fille pour mieux fuir les mains impitoyables qui toucheront tout petit morceau de peau qui dépasse (surtout avec la grippe H1N1 qui circulait cet hiver). Malgré ma grande vigilance et mon état d'alerte constant, il m'arrive d'être surprise par un soudain : "Oh le beau bébé, c'est à qui le beau bébé?" que je n'avais pas vu venir et qui, maintenant qu'il est tout près, est impossible à éviter. À ce moment précis, la seule défense qu'il me reste, c'est la mystification (peut-être me trouverez-vous cruelle d'agir ainsi, mais bon, une fille se tanne de passer 4 heures à l'épicerie parce que chaque personne rencontrée veut faire des guili-guili, TSÉ). Voici donc quelques exemples (que je vous offre gracieusement et que vous pourrez utiliser quand bon vous semble, si vous n'oubliez pas bien sûr de me verser des droits d'auteur.)

Une dame (qui voulait sans doute être gentille, mais je suis quand même sans pitié): Oh! Elle a de si longs cils! Est-ce que vous lui avez mis du mascara? (je dois avouer que Bébé fille, elle est trop belle et que ses cils sont aussi longs que son nez, sans blague.)
Moi: Évidemment. Une femme ne doit jamais sortir sans maquillage. Voulez-vous voir son tatouage de dragon dans le dos? Il est frais de ce matin. Et cet après-midi, je vais lui faire percer la langue!
(Elle fût mystifiée.)

Une autre dame (qui semblait sympathique, mais pas de traitement de faveur pour personne): Est-ce qu'il fait des beaux sourires le bébé? (Se tournant vers moi) Est-ce que vous l'allaitez?
Moi: Pas moi, c'est son père qui se charge de l'allaitement.
(Mystification totale.)

Un commis (qu'habituellement, j'arrive habilement à éviter, mais qui m'a déjouée cette fois-là): La belle princesse bien dodue. (Reluquant mon décolleté) Elle ne manque pas de nourriture, c'est certain.
Moi: Parlant de nourriture, est-ce que monsieur Gendazs est là? J'aimerais le féliciter pour sa crème glacée.
Le commis: Monsieur Gendazs? C'est qui ça?
Moi: Ben là, monsieur Gendazs qui fait de la crème glacée. Vous savez, la crème glacée à Gendazs.
Le commis: (perplexe quelques instants, on voit qu'il est plein de bonne volonté et qu'il voudrait bien satisfaire mon décolle...ma curiosité): Ah! La crème glacée Häagen-Dazs.
Moi: C'est ça que j'ai dit. La crème glacée à chose là.
(Il fût mystifié.)

Savoir mystifier pour mieux se sauver, là est le secret.

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