J'ai trouvé le cadavre ce matin. Froid. Il gisait sur le sol de la cuisine. Nue, décortiquée et même déveinée, la victime était enduite d'un liquide collant et piquant. Une sauce aigre-douce pour préciser. Après quelques coups de fil à mes contacts de la police, j'ai constaté que la victime appartenait à un groupe d'activistes bien connus du milieu, opérant sous le nom de Souper de la veille. La veille, justement, elle ne s'y trouvait pas quand je suis montée me coucher, j'en mettrais ma main au feu. Comment cette crevette avait-elle pu atterrir là, précisément sur mon carrelage fraîchement lavé? L'amoureux a été convoqué en interrogatoire: même sous la torture, il a juré qu'il n'avait rien à voir là-dedans, avouant s'être levé durant la nuit pour manger un beigne au chocolat, mais pas de petites crevettes sautées, vestiges d'un repas en famille délicieux. Il ne restait plus qu'un suspect de taille: Bébé fille. Lui faire avouer son crime relevait de l'impossible; même sous la torture, elle ne flancherait pas, habituée elle-même à torturer mes cheveux, seins, doigts ainsi que la télécommande. J'étais confrontée à une criminelle sans pitié, une dure de dure. Il me faudrait l'avoir par la ruse, la coincer avec un nombre incroyable de preuves incontestables.
J'ai donc épluché tous les dossiers du corps policier qui pouvait avoir un lien avec Bébé fille. Et ce que j'y ai trouvé m'a renversée.
Les informations les plus anciennes datent de février 2009, alors qu'elle se trouvait «en-dedans». Elle avait été condamnée à 9 mois de prison pour exhibitionnisme sur la voie publique (une histoire d'ovule et de spermatozoïde qui se seraient adonnés à des jeux sexuels devant une foule de plusieurs millions). Elle a profité de ce séjour pour développer des capacités cognitives et cérébrales hors de l'ordinaire. Bref, elle se préparait à un retour à la liberté en force, plus rien ne l'arrêterait.
Dès sa sortie, elle s'est jointe à un gang de rue sévissant jour et nuit et se faisant appeler les Nouveaux-nés. Les Nouveaux-nés sont réputés pour leur soif insatiable, buvant sans relâche. Ils sont souvent condamnés pour trouble à l'ordre public puisqu'ils ont tendance à hurler à tue-tête en plein milieu de la nuit. Les Nouveaux-nés n'étant pas très actifs, Bébé fille s'est vite lassée du manque d'actions.
Ambitieuse, voulant sans doute se tailler une place de choix dans la hiérarchie criminelle, elle a rejoint les rangs de la mafia italienne par le clan des Bambinos (les bambins). Facilement reconnaissables par leur démarche particulière (ramper au sol ou se déplacer à quatre pattes), ils se spécialisent dans le trafic des céréales et purées. Ils portent une affection particulière à leur mamma (maman), refusant parfois de s'en séparer, même l'espace de quelques minutes. Bébé fille a fait ses preuves et rapidement, elle est devenue parrain de ce clan. C'est sans doute à cette période qu'elle a développé son engouement actuel pour l'autorité (la sienne) et l'envie d'avoir des esclaves obéissant au doigt et à l'oeil (les siens, évidemment).
Selon les dossiers, c'est à elle que l'on doit la récente affiliation entre mafia et motards criminalisés. Les rumeurs consignées dans les papiers affirment même qu'elle dirigerait à la fois la mafia et les motards, ce qui serait une première dans le monde criminel. Des policiers y témoignent avoir souvent vu Bébé fille courir en poussant ou tirant des objets, manger avec ses mains ou une cuillère, parler d'une voix forte, se déshabiller en public et faire l'indépendante face à sa mère; tous là des signes distinctifs des motards. Elle a, de plus, été aperçue à plusieurs reprises dans le repère bien connu des motards, aussi appelé la garderie.
Le dernier dossier, qui date de quelques semaines à peine, mentionne qu'elle semble avoir développé une forme particulière de kleptomanie (obsession du vol) la poussant à cacher les objets volés dans des endroits insolites comme sa couche, son lit, les souliers de la visite et sa chaise haute. Ainsi, il n'est pas rare de trouver un bout de papier dans sa couche, les bas de papa dans son lit, un méga-bloc dans les souliers ou des nouilles bien cachées dans le pli de sa chaise haute. Toujours dans ledit dossier, un policier raconte avoir vu Bébé fille entourée de crevettes à sa sortie de la discothèque Dîner de mercredi, un autre affirme l'avoir entendu, par écoute téléphonique, dire à son bras droit qu'elle "mangerait bien une crevette" et finalement, un troisième dit avoir reçu une plainte d'une famille de crevettes pour harcèlement de la part de Bébé fille.
Suite à la lecture des dossiers, toutes ces histoires de crevettes me semblaient louches. Aucune plainte n'avait été retenue, sans doute Bébé fille a-t-elle offert un gros pot-de-vin pour faire taire les accusations. Prenant mon courage à deux mains, j'ai pris la ferme décision de m'introduire dans son repère pour y trouver des indices. J'ai donc attendu patiemment qu'elle quitte pour son rendez-vous quotidien avec un étrange individu se faisant appelé la sieste, puis, je suis allée fouiller dans sa chaise haute. Mon coeur s'est arrêté de battre: trois crevettes gisaient là, inanimées, recroquevillées. J'ai immédiatement pris mes jambes à mon cou, me dirigeant vers le panier de lavage pour y prendre le pyjama que portait Bébé fille ce matin. J'ai retenu mon souffle. La tache qui se trouvait sur la fesse gauche, collante et légèrement relevée, vint confirmer mes doutes: Bébé fille était la responsable de l'apparition du cadavre de la crevette sur le plancher de la cuisine.
J'ai reconstitué les faits. La veille, Bébé fille s'est régalée d'un petit sauté de crevettes. Elle en a séquestré quelques-unes dans sa chaise haute. Les pauvres, sans doute ont-elles cherché à s'enfuir ou à appeler à l'aide, mais personne n'a entendu (d'ailleurs, est-ce que quelqu'un a déjà entendu une crevette parler?). Pendant que nous dormions, les victimes ont expié leur dernier souffle, Dieu ait leur âme. Ce matin, Bébé fille a pris son petit déjeuner dans la chaise haute, oubliant les crevettes qu'elle y avait laissées la veille. Une crevette, faible et espérant se libérer, s'est accrochée au pyjama de Bébé fille, avec le peu de force qui lui restait. Une fois le déjeuner terminé, Bébé fille a été sortie de sa chaise haute et fidèle à son habitude, elle en a profité pour faire un peu de ménage dans les chaudrons. La crevette, profitant de ce moment d'inattention, a sauté sur le sol, tentant d'atteindre le téléphone pour appeler du secours. Hélas, en tombant, elle s'est fracturé le....la petite queue de crevette là et est morte au bout de ses souffrances. Et je l'ai aperçue, mais trop tard, en allant me faire un café.
Preuves en main, j'ai confronté Bébé fille, lui mettant sous le nez son crime odieux. Sans pitié, elle s'est contentée de crier, d'une voix aiguë: «'VETTE!» et a mangé la victime d'un air satisfait.
Je n'ose plus la contredire. Elle pourrait me manger.
Quelle histoire! Ouf!
RépondreSupprimer@Annie-Claude
RépondreSupprimerUne sacrée enquête. J'en ai sué un coup!
Ah la la... Effectivement, c'est une dure de dure celle-là! Je garde la mienne (elle est végétarienne!) ;-)
RépondreSupprimerTu es vraiment dans de beaux draps Bizz!! On dit qu'il faut être proche de nos amis et encore plus de nos ennemis? Tu as intérêts à garder Bébé fille bien près! :P
RépondreSupprimer@Citron
RépondreSupprimerCrois-moi, Bébé fille est tout aussi cruelle avec les brocolis!
@Mymybelle
J'achète la paix à grands coups de biscuits et de poires!
Cruel destin pour une crevette... Paix à son âme.
RépondreSupprimerJ'ai retenu ton anecdote dans mon potinage du dimanche (en ligne demain!)
http://www.la-mere-est-calme.com/2010/12/quand-dimanche-rime-avec-potinage_11.html
@Julie
RépondreSupprimerClaude Poirier ne cesse de nous harceler pour qu'on précise les circonstances de la mort de la crevette.
Merci pour le potinage!
Ce serait tellement bien que tu t'engages à travailler pour ''l'opération marteau'' . Finies les enquêtes qui traînent en longueur!
RépondreSupprimer@Anonyme
RépondreSupprimerJe leur ai envoyé mon CV, mais je sais pas pourquoi, j'ai eu aucun retour d'appel, même pas une petite entrevue...
Je suis trop perspicace pour eux, y'a tant de criminels à cravate, je les attraperais rapidement et les bureaux se videraient.